À Pouilly-sur-Loire, pas de rouge, contrairement à Sancerre, mais deux blancs : le pouilly fumé et le pouilly-sur-loire. Dans l’ombre du sauvignon (le raisin du pouilly fumé), le chasselas fait de la résistance. Katia Mauroy, vigneronne œnologue à la tête du domaine de Bel Air, nous dit tout sur cette production confidentielle.
Combien d’hectares le pouilly-sur-loire représente-t-il ?
Katia Mauroy : Très peu ! 25 hectares ont été déclarés pour la récolte 2022. Le chasselas est un cépage rare en France. En dehors d’ici, il y en a encore une poignée d’hectares en Alsace et en Haute-Savoie.
Quelle est son histoire ? Minoritaire aujourd’hui, c’est pourtant un cépage historique de Pouilly…
Oui, il est cultivé ici avec le sauvignon depuis des siècles, et a connu son heure de gloire grâce à une double opportunité. D’abord l’arrivée du chemin de fer à Pouilly-sur-Loire en 1861, qui permet de le transporter dans la nuit jusqu’à Rungis. Les Parisiens en raffolent et le consomment comme raisin de table. Et puis, quelques années plus tard, parce que le phylloxéra [cet insecte venu d’Amérique qui a ravagé les vignes du sud de la France dès 1864, Ndlr] n’est pas encore présent chez nous. Il arrivera plus tard, début 1880.
Comment qualifieriez-vous les vins qu’il donne ?
Frais, légers, délicats, avec des notes de fleurs blanches, d’amande, de fruits secs… Mais ça dépend, car le terroir a sur lui une vraie influence : le chasselas sera plus rond par exemple sur un sous-sol de marnes que sur des caillottes [pierres blanches calcaires, Ndlr]. C’est aussi un vin peu chargé en alcool : à l’époque, 10 degrés en moyenne. Aujourd’hui, un peu plus, réchauffement climatique oblige, mais rarement plus de 12°. C’est un vin de casse-croûte, à boire jeune (contrairement au pouilly fumé, qui peut se garder longtemps).
Pourquoi a-t-on délaissé ce cépage ?
Curieusement, ce n’est pas tellement à cause du phylloxéra. La crise passée, le chasselas reste longtemps cultivé ici à parts égales avec le sauvignon. Le problème de notre cépage, c’est qu’il partage la même aire d’appellation que le sauvignon. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le pouilly fumé, plus complexe, se vend mieux et plus cher que le pouilly-sur-loire, blanc de soif consommé sur place. Les vignerons vont donc arracher massivement le chasselas pour replanter du sauvignon.
Aujourd’hui, le chasselas semble revenir sur le devant de la scène à Pouilly. Certains vignerons de la nouvelle génération souhaitent valoriser cette petite production locale. Qu’en pensez-vous ?
La rareté peut créer la demande. Si d’ordinaire les prix oscillent entre 6 et 12 €, on espère pouvoir tirer notre chasselas vers le haut, pour le travailler comme un produit haut de gamme.
Propos recueillis par Tina Meyer