C’est peu dire qu’il y a toujours eu une rivalité bon enfant entre les deux villes – et appellations – voisines, séparées par la Loire. Pouilly fumé / sancerre : éternels rivaux ?
« J’aime bien le sancerre, mais je préfère le bon vin », s’amusait à dire Didier Dagueneau, truculent vigneron, mondialement connu, qui a marqué de son empreinte l’appellation « pouilly fumé ». Disparu tragiquement en 2008 dans un accident d’ULM, le maestro du sauvignon (et roi de la provoc) avait bâti son domaine sur les hauteurs de Saint-Andelain, face à Sancerre. Domaine à l’entrée duquel trônait… une sculpture de bras d’honneur.
On les confond parfois, et pour cause : ce sont deux appellations mondialement reconnues, parmi les grands vins de Loire, qui produisent des vins blancs secs issus d’un même cépage, le sauvignon. Pouilly fumé et sancerre : si proches (seulement 15 petits kilomètres séparent Pouilly-sur-Loire de Sancerre, dans le Cher) et pourtant si différents. Mais alors, qu’est-ce qui les oppose ?
Dans les vins de Loire ce n’est pas la taille qui compte
Sur la rive droite du ring ligérien, un petit gars sec, mais qui allonge de sacrées droites, malgré un handicap de taille au départ face à son voisin : c’est peu dire que le pouilly fumé, qu’on appelle aussi « blanc fumé de Pouilly », ne possède pas la plus grande… superficie de vignes ! Deux fois et demie moins grand que son rival, le vignoble pouillysois ne compte qu’environ 1 300 hectares pour 135 producteurs, quand celui de Sancerre, sur la rive opposée, s’étend sur 3 000 hectares et réunit une force de frappe de 285 producteurs.
« Petits, mais costauds » : tel pourrait être l’adage de ceux que le camp d’en face surnomme « les Pouilleux ». N’empêche. Le pouilly fumé – qui ne doit pas être confondu avec le pouilly-fuissé, vin du sud de la Bourgogne (Mâconnais) et donc à base, lui, de chardonnay – était l’un des vins préférés du roi Louis XI. Est-ce pour ça qu’il s’est retrouvé très tôt sur les tables étoilées ?
Je vais te fumer, Pouilly !
Mais alors, pourquoi dit-on que le pouilly est « fumé » ? L’inénarrable et regretté Didier Dagueneau avait son explication, qu’il réservait aux journalistes. « C’est dû à une méthode propre de vinification. Vous voyez cette cuve ? C’est assez technique. On fait entrer, par microperforation, un tuyau qui envoie de la fumée. Et paf ! Le grain ressort fumé ! »
Mais pas de fumée sans feu : derrière la blague potache, c’est bien à cause d’une odeur de poudre que le nom serait né. Parce que ce vin exhale des arômes caractéristiques de silex, de pierre à fusil, et une minéralité hors du commun… Conséquence directe de la nature des sols. Mais aussi, rappellent certains, « parce qu’une pruine grise recouvre la peau des raisins sauvignons lorsqu’ils arrivent à maturité »
Parmi les vins de Loire : un rosé et un rouge qui ne s’usent que si on Sancerre
Sur la rive gauche du ring, le monstre nargue l’adversaire. Sancerre exulte : son vignoble vallonné est lui aussi connu depuis longtemps pour la qualité de ses vins blancs. Lesquels figuraient déjà dans le premier concours des vins de France qu’organisa le roi Philippe le Bel au XIIIe siècle : la « bataille des vins de France ». Des blancs reconnaissables entre mille, souvent nerveux et persistants en bouche. Sans parler des sancerres rouges, plutôt parfumés et ronds, et des rosés, tendres et subtils. Et bim au passage pour Pouilly, qui produit uniquement des blancs – issus de cépages sauvignon pour l’appellation « pouilly fumé », et de chasselas pour l’appellation « pouilly-sur-loire ».
Alors, qui déclarer KO ? La vérité, dans toutes ces histoires de querelles de clocher, est peut-être qu’il y a toujours eu deux gagnants. « La Loire les divise, le vin les unit », pourrait-on conclure, en reprenant la devise des baillis de Pouilly : « Eau nous divise, vin nous unit ».
Tina Meyer
Sancerre
1936 : Naissance de l’AOC sancerre (pour les blancs)
1959 : Les vins rouges et rosés rejoignent l’AOC.
Aujourd’hui
3 007 hectares, 285 producteurs
Cépages
Sauvignon pour les vins blancs (83 % de l’AOC).
Pinot noir pour les rouges (11 % de l’AOC) et les rosés (6 % de l’AOC)
Accords
Sancerre blanc : poissons zestés de citron ou d’agrumes, ou saumon à l’oseille, fromages de chèvre (selles-sur-cher, valençay, bien sûr crottin de Chavignol…)
Mais aussi andouille de Jargeau.
Température de service
Entre 10 et 12 °C pour les blancs, 8 à 10 °C pour les rosés, 15 à 16 °C pour les rouges.
Pouilly
1937 : Naissance de l’AOC pouilly fumé
Aujourd’hui
Près de 1 379 hectares, 135 producteurs
Cépages
Vins blancs 100 % sauvignon
Accords
Apéritif ; sole meunière, terrine de raie, crustacés, noix de Saint-Jacques, huîtres, moules, palourdes, etc.
Mais aussi rillettes, andouillettes, cuisses de grenouilles ou volailles à la crème… Sans oublier le crottin de Chavignol !
Température de service
Entre 10 et 12 °C